Le monde est un plein de mystères

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Allons le parcourir !

vendredi 14 août 2015

Une bibliothèque de montagne à Bali

Voyager à Bali est un rêve, une destination exotique et culturelle très prisée par les touristes. En réfléchissant à notre périple avec mon ami, l'île de Bali est aussi apparue comme une évidence. 
Comme ça a déjà été le cas pour d'autres pays touristiques, nous avons beaucoup réfléchi à la façon dont on allait visiter le lieu en question. Autant fuir les endroits bondés en sortant des circuits classiques. Pour ce faire j'ai tout simplement tapé deux mots-clé sur Google : "Bali" et "autrement". J'ai pu alors découvrir la collection de guides de voyage éditée par Viatao, une agence spécialisée dans le tourisme durable ainsi que l'agence de voyages Bali autrement, de son nom ! Leur objectif étant de s'écarter du tourisme de masse et de prendre part à des projets solidaires à travers des visites guidées personnalisées. C'est de cette façon que j'ai appris l'existence d'une bibliothèque en milieu rural montagnard à Bali. Un projet initié par l'association Déroutes et détours qui soutient la scolarisation dans le nord de l'île et qui promeut la lecture pour tous. 
En approfondissant la recherche, j'ai découvert que cette association était dirigée par Franck Michel, un anthropologue et écrivain alsacien. Le voyage prenait tout son sens. Ma joie fût à son comble, tout était réuni : un projet de bibliothèque sur l'île de Bali ou comment allier mon domaine professionnel de bibliothécaire curieuse, ma passion de la culture locale et la rencontre avec un anthropologue alsacien. J'ai donc pris contact avec l'agence et avec Monsieur Michel pour avoir plus d'informations sur le projet et dans quelle mesure je pouvais apporter mon soutien. 
L'agence m'a chaudement recommandé d'aller voir la bibliothèque et de rapporter des livres jeunesse en indonésien (mon choix s'est porté sur des classiques, des romans de Roald Dahl illustrés par Quentin Blake). Franck Michel a également répondu à ma demande et nous avons réussi à nous rencontrer pendant le mois passé à Bali.
Mon ami et moi avions choisi de passer du temps dans cette région du nord qui semblait, d'après mes lectures, être un espace en retrait, loin de la foule constante d'Ubud en particulier. 
Ce fût la plus belle partie de note séjour. L'accueil des villageois y était chaleureux, la nature brute et peuplée de singes, de temples mystérieux plongés dans la brume et la végétation.










C'est donc dans ce village de Wanagiri que nous avons passé une semaine au ralenti, au rythme de la vie quotidienne d'une famille, avec la naissance d'un bébé et l'organisation d'une cérémonie, la préparation des offrandes, la confection artisanale du café, les clous de girofle qui sèchent au soleil, la fraîcheur des montagnes, la vue surplombant les lacs et la découverte de la fameuse bibliothèque.
Un lieu modeste indiqué depuis la route par un panneau en bois "Déroutes et détours", au premier étage d'une maison d'habitation.


Une petite cour à l'entrée permet de garer sa mobylette, le moyen de transport local par excellence. Nous sommes accueillis par un jeune homme, je comprends qu'il s'agit de Gede, le bibliothécaire de l'association. Il ne parle pas trop anglais mais on essaye de se comprendre tout de même, il me montre les rayonnages et les articles de presse depuis la création.



Après quelques photos et beaucoup de sourires nous partons avec beaucoup de questions restées en suspens. Quels sont les horaires d'ouverture ? Y aura-t-il quelqu'un demain si je reviens ? Qui fréquente la bibliothèque ? Comment le projet est-il mené ?
Franck Michel prendra peut-être le temps d'y répondre.
Deux semaines plus tard nous parvenons à nous rencontrer brièvement et on se donne rendez-vous en septembre deux mois plus tard pour approfondir le sujet. C'est donc à notre retour, d'où le délai dans la rédaction de cet article, que nous nous retrouvons dans un café strasbourgeois et qu'il me raconte tout le cheminement du projet.
Franck s'est installé à Bali en 2002. Il a emménagé à Wanagiri, un village du nord de l'île, à 1400m d'altitude. Une région rurale pauvre et délaissée des circuits touristiques.
La bibliothèque a ouvert ses portes en 2005, elle est gérée par l'association Déroutes et détours et la plateforme culturelle en ligne La Croisée des routes dont Franck Michel est à l'origine.
L'agence Bali Autrement apporte son soutien à la structure depuis plus de 10 ans en organisant des visites pour les touristes qui offrent des livres et font des dons à l'association.
La bibliothèque est gratuite et ouverte à tous, le but étant de favoriser l'accès à la lecture au plus grand nombre, à commencer par les jeunes, en proposant des ouvrages en tout genre allant des bandes dessinées aux manga, en passant par les romans internationaux et en valorisant les auteurs locaux autrefois censurés.
En effet, lire est un acte subversif et rebelle pour les ruraux qui ont vécu un régime autoritaire pendant plus de trente ans. Un gouvernement qui a écrasé la culture et emprisonné ou tué ses intellectuels.
Si aujourd'hui le pays connaît la démocratie, que des livres sont à nouveau édités, la "culture" du livre demeure inexistante et l'objet livre n'est pas respecté en tant que tel. Nous autres occidentaux vivons dans un environnement où les livres circulent, où il y en a toujours un peu partout. Ce n'est pas le cas en Indonésie. Le contexte historico-politique n'a pas encouragé cette pratique de lecture et le contexte social rend aussi les choses compliquées.
La vie est communautaire à Bali, de nombreuses personnes vivent dans la même pièce et il serait mal vu de s'isoler pour lire. Le fait en soi de se mettre à l'écart est incompris et se mettre à lire l'est d'autant plus qu'il s'agit pour les ruraux d'une perte de temps, un moment qui pourrait être rentabilisé en travaillant. Franck me racontait avoir vu une jeune fille lire debout sur le pas de la porte, ce qui lui permettait de rester disponible à toute demande, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur.
Vous l'aurez compris lire n'est pas donné à tout le monde et requiert de la volonté, du courage. Braves sont ceux ou  celles qui osent s'adonner à la lecture, un loisir jugé inutile.
En terme de fréquentation, l'association compte environ cinq personnes par jour en 2015, la plupart sont des lectrices, d'environ 14 ans. Elle consultent sur place et empruntent.




Il n'y a pas de logique de proximité, les voisins ne viendront pas mais des prêtres hindous viennent emprunter des livres sur l'Islam et certaines personnes dont des policiers ont déjà fait 20km pour venir emprunter, sachant qu'à Bali la route et longue, encombrée et sinueuse, il faut le vouloir pour arriver là-haut ! Le lieu se fait connaître par le bouche à oreille. 
Si dans la plupart des lieux de lecture publique on trouve des horaires d'ouverture bien définis, à Wanagiri, il n'y en a pas, c'est ouvert tout le temps car il y a toujours quelqu'un pour vous ouvrir, exception faîte si c'est jour de cérémonie bien sûr !
Je me suis également et logiquement interrogée sur le partenariat avec les écoles mais il reste difficile de faire venir les enseignants qui considèrent encore pour la plupart que "les livres sont pour les Blancs"...
Franck compte désormais sur la démarche individuelle et sur les jeunes filles en particulier. Son objectif à petite échelle serait que trois filles par an au moins puissent avoir envie de faire des études.
En Indonésie, "lire pour tous" reste un défi à relever. Je souhaite un bel avenir à la bibliothèque de Wanagiri et si un jour vous êtes de passage à Bali, n'hésitez pas à passer faire un tour là-haut et à rapporter quelques livres, vous repartirez avec plein de sourires. 

Pour approfondir le sujet et découvrir la littérature indonésienne je peux vous recommander la lecture de l'oeuvre de Pramoedya Ananta Toer surnommé "Pram". Il est le romancier indonésien contemporain le plus connu, emprisonné sous Suharto et mort aujourd'hui. 


Andrea Hirata a écrit Les guerriers de l'arc-en-ciel ou l'exemple d'un livre "utile" en Indonésie dans un contexte où les livres coûtent l'équivalent de trois repas. Grâce à cet ouvrage une partie de l'école est aujourd'hui gratuite. L'histoire a été adaptée au cinéma et le film reste le plus visionné en Indonésie !

Il y a également la littérature féminine voire féministe qui a émergé suite à l'effondrement du régime, au courant des années 90. Ces femmes proposent une littérature contemporaine ancrée dans la société actuelle de consommation et de mondialisation. Ayu Utami est l'auteure la plus connue et son roman Saman qui traite de l'émancipation des femmes a été traduit en français et publié en 2008. Il est considéré comme son oeuvre la plus remarquable. 


Si vous souhaiter aussi en savoir plus sur les évènements de 1965 en Indonésie je vous conseille le documentaire The Act of Killing de Joshua Oppenheimer sorti en 2012, des images qui dérangent et un film interdit en Indonésie... 

Retrouvez également les publications de Franck Michel comme son dernier ouvrage sur Bali et plus d'informations sur le projet en suivant le lien suivant http://www.croiseedesroutes.com
La croisée des routes est un collectif dont je fais également désormais partie, n'hésitez pas à y faire un tour ! 



samedi 1 août 2015

Cérémonie sous la pleine lune à Bali

L'équilibre, le Karma, le noir et le blanc, les dieux et les démons, le sarong, les offrandes journalières, l'odeur de l'encens et les temples à chaque coin de rue et dans chaque arrière-cour. Des contrastes au quotidien sur cette île de Bali, voilà une culture complexe et bien visible qui se présente à nous.
On s'imprègne avec bonheur.
Nous avons loué un scooter pour parcourir le paysage en toute liberté et avons mis le cap au Nord. Les montagnes et les villages du centre étaient comme un appel et nous avions envie de creuser, de nous écarter si possible des sentiers battus.
Nous avons trouvé une chambre chez l'habitant dans une famille qui tient également un restaurant avec une vue imprenable sur les lacs. A 1400 m d'altitude on est dans une autre atmosphère, les nuits sont fraîches mais on respire. La vue est imprenable. La lumière est différente, c'est un peu comme un soleil d'hiver avec un ciel bleu. La brume s'installe le soir pour envelopper tout le paysage et se dégage le matin. Lorsque le soleil se couche, la température chute, le climat montagneux se fait bien sentir et il est de coutume d'allumer un bon feu pour se réchauffer dans la salle commune. C'est le moment le plus convivial de la journée, la famille, les amis et les visiteurs de passage se retrouvent autour d'un repas et au son du gamelan. Les hommes jouent des heures durant en fumant des cigarettes. Les fillettes s'essayent à la danse et nous émerveillent dans leurs jolies tenues.

Nous avions prévu de rester trois nuits mais la famille nous a convié à une cérémonie qui aura lieu à la pleine lune. Il semblerait que cette célébration ait un lien avec le retour de leur fille et son bébé de l'hôpital.
Trois jours avant la fête, les préparatifs vont bon train. Il a fallu tout d'abord aménager le toit-terrasse, construire un "balé" en bambou (un pavillon dans lequel on peut s'asseoir pour discuter ou faire une sieste par exemple, un lieu de vie en somme). Pour abriter les musiciens du gamelan en cas de pluie, les hommes ont installé un abri en bambou avec des bâches. Le sol a été balayé, des ombrelles disposées de part et d'autre des autels. Les offrandes et les prières auront lieu là-haut tandis que les repas seront servis dans la cour.
Les filles s'amusent devant les autels
Les femmes restent entre elles pour les préparatifs



Au deuxième jour, les femmes se sont occupées de la décoration faîte de tressages en feuilles de coco. Le jour J fût consacré à la préparation des offrandes et de la nourriture.


Champs de piments

Champs d'hortensias, fleurs très utilisées pour les offrandes

Ballade non loin de la maison, dans les champs cultivés
Mama Bali, la maîtresse de maison, s'est chargée de tous les achats au marché ; fleurs coupées, fruits, légumes, épices. Je m'essaye à la confection de tressages pour les offrandes. La tâche est ardue car les ouvrages sont très stylisés, à base de découpages et de pliages qui forment des corbeilles ou des décors de corbeilles, de toutes tailles. Le garnissage est à base de riz, de viande, de graines, d’œufs, de fleurs ...
Les hommes sont chargés de la viande, des poulets sont cherchés à la ferme, abattus, déplumés, dépecés et hachés finement avec les os. La viande hachée est mélangée avec du gingembre, de la citronnelle, des échalotes, de l'ail, du piment et du curcuma sous forme de racine, très bonne pour la digestion. Le tout est écrasé au pilon puis cuit dans une grande marmite, sur le feu.

Vient ensuite le moment difficile pour les âmes sensibles car deux porcs sont prévus pour les festivités, ils sont égorgés dans la cour et leurs cris résonnent, le sang se répand. 
Ils seront cuits à la broche dans la journée pour le dernier repas, celui qui clôture la cérémonie.
Il s'agit d'un plat fameux à Bali, le "Babi guling". On en trouve souvent dans les "warung" ou restaurants locaux mais en famille ce n'est que pour les grandes occasions, les cérémonies. 
Les préparatifs occupent toute la famille des heures durant. Des moments de pause sont pris environ toutes les trois heures pour manger. Un premier plat salé est pris vers 10h30, de la viande hachée moyennement relevée avec du riz puis vers 15h ce sont des abats frits puis de la viande toujours hachée très épicée, le feu ronge mon estomac ! 
Faire honneur aux plats. On mange sur une feuille de papier posée dans une assiette tressée 
A 17h30, les hommes montent sur le toit-terrasse, lieu de la cérémonie. Ils démarrent le gamelan.
Les mélodies harmonieuses vont rythmer la procession et Papa Jero, notre hôte, mari de Mama Bali va mener la cérémonie, tout de blanc vêtu. Les offrandes sont apportées au fur et à mesure par les femmes de la famille, sur de grands plateaux tressés ou dans des corbeilles portées sur la tête. L'odeur de l'encens et la musique envahissent l'espace. Le ciel est très brumeux comme souvent ici en fin de journée, me dit-on, mais lorsque la nuit tombe et après une heure de prières, la pleine lune fait son apparition de derrière les nuages pour venir nous honorer de sa présence et de sa lumière pendant un moment.
Un autre repas va interrompre brièvement la procession vers 18h30. J'ai pu constater que les hommes et les invités étrangers à la famille comme nous mangent les premiers. Quand les hommes retournent à l'étage, les enfants prennent leur place et enfin les femmes viennent se reposer et manger à leur tour. Les enfants nous regardent amusés. Mais il faut dire que ce doit être comique de voir quatre Européens vêtus d'habits traditionnels essayant tant bien que mal de manger leur repas proprement avec la main droite. J'essaye de faire connaissance en échangeant quelques mots d'indonésien appris les jours passés.
Mon amie Jane rencontrée à Bali, entourée des enfants de la famille



La cérémonie se terminera vers 22h30, après 5h de gamelan presque sans interruption. Notre chambre supporte le toit-terrasse où se déroulent les festivités, c'est donc en musique que nous trouverons le sommeil après cette journée hors du temps et bénie des dieux.

Quitter cette magnifique famille pour continuer le voyage